Rencontre avec Garance Chabert, commissaire et critique d’art

"Théâtre de poche", Aurélien Froment, 2007 © Courtesy Motive Gallery.

Pour inaugurer le cycle des Rencontres du mercredi, Garance Chabert, commissaire et critique d’art, présente son parcours, ses activités et notamment son engagement auprès du collectif Le Bureau/.

Parle nous de ton parcours, comment t’es-tu intéressée à la photographie ?
J’ai fait des études d’histoire et d’histoire de l’art, et j’ai conclu mon cursus par un DEA sur les théories postcoloniales et un DESS sur la pratique de l’exposition et de la critique d’art contemporain. Ce qui m’intéressait dans la photographie, c’était son impact dans et sur l’histoire, à quel point elle reflétait et témoignait des structures de représentation d’une société et de sa culture visuelle. J’ai écrit un mémoire sur le festival de photojournalisme de Perpignan, Visa pour l’Image, en pointant les ambiguités d’une manifestation toute tournée vers le passé héroïque de la photographie d’information et refusant d’admettre que le photojournalisme est aujourd’hui avant tout un produit esthétique et culturel. Je l’ai ensuite publié sous forme d’article dans la revue d’histoire de la photographie Études Photographiques, dont je suis secrétaire de rédaction depuis deux ans.

Quels sont les plasticiens, les photographes (ou les courants artistiques, photographiques) qui te touchent, dont tu apprécies le travail ?
Je constate qu’aujourd’hui la sculpture est un champ d’expériences artistiques très fécond et dynamique. Même si je ne m’intéresse pas a priori à un médium en particulier, certaines pratiques faisant communiquer la photographie et la sculpture m’intéressent particulièrement (le travail d’Etienne Bossut ou de Raphaël Zarka par exemple). Je travaille aussi actuellement sur les pratiques réinvestissant et associant subjectivement des images déjà produites dans des configurations très différentes (le tableau, la vidéo, la conférence, l’installation etc.). Je pense à de jeunes artistes comme Clément Rodzielski, Aurélien Froment, Ryan Gander, mais aussi Barbara Bloom, Luis Jacob, Johannes Wohnseifer ou Tacita Dean. En vrac, je suis aussi très sensible au travail d’Isabelle Cornaro, Emilie Perotto, Gaëlle Boucand, ou encore Till Roeskens, qui ont des pratiques très différentes les unes des autres.

Aujourd’hui, quelles sont tes différentes activités ?
Je travaille au sein d’une collection très importante de photographies du XIXe siècle, la Société française de photographie, ou je suis administratrice et secrétaire de rédaction de la revue Études Photographiques. Je m’occupe surtout de l’iconographie de la revue, de sa fabrication et de sa diffusion. Parallèlement, j’écris sur l’art contemporain, surtout des monographies de jeunes artistes ou des comptes-rendus d’exposition pour la revue Art21 ou pour des catalogues spécifiques. Enfin, je suis commissaire d’exposition dans un collectif de curators qui s’appelle Le Bureau/.

Peux-tu nous parler davantage du Bureau/ ? Quelle est votre vocation, quelles sont vos activités ?
Le Bureau/, qui regroupe sept commissaires, s’est constitué en 2004 dans l’idée de proposer des dispositifs d’exposition qui permettent d’une part de regarder une oeuvre dans différentes configurations afin de multiplier son potentiel sémantique et d’autre part de faire de l’exposition un espace dynamique, croisant des conventions qui ne sont pas forcément celles du monde de l’art (le temps de travail pour l’exposition 35h, le peer-to-peer pour l’expo P2P, la conférence pour proposition de colloque etc.). Nous travaillons ainsi à partir des contraintes inhérentes à un lieu, à sa taille, au public qui le traverse ou le visite etc. Ainsi pour les trois expositions en 2009 de la Maison Populaire à Montreuil, nous avons construit la programmation intitulée Un plan simple d’après la circulation du public quotidien de la structure, à savoir des adhérents traversant l’espace d’exposition pour se rendre à d’autres activités. Les expositions sont ainsi construites frontalement, de manière à être appréhendées d’abord d’un coup d’oeil, même si elles engagent ensuite à s’approcher des oeuvres.

Comment le Bureau/ se positionne-t-il au sein de la critique d’art et de photographie ?
Le Bureau/ ne fait pas de critique d’art, même si certains membres du collectif écrivent, et pour le Bureau/ je pense que la photographie est un médium de représentation parmi d’autres, avec une histoire particulièrement intéressante notamment en ce qui concerne son impact sur l’art, sa documentation et sa diffusion. Nous sommes très attentifs aux photographies d’expositions, et nous avons même imaginé l’accrochage de la première exposition de la Maison populaire Perspective en fonction de sa photogénie. Mais je ne crois pas que c’était le sens de ta question !

Comment vois-tu évoluer la pratique du commissariat, le rôle du curator ?
Le commissaire a pris depuis 20 ans une importance croissante dans le champ de l’art, même si aujourd’hui encore, c’est un métier sans statut (voir les enquêtes de l’association Commissaires d’exposition associés), notamment soumis à une variabilité extrême de rémunération sous les formes les plus diverses (droits d’auteur, intermittence, Maison des Artistes etc.). D’un point de vue plus théorique, le rôle de plus en plus visible et affirmé du commissaire a donné lieu dans les années 2000 à la revendication chez certains de leur qualité d'”auteur d’expositions” (notamment Eric Troncy) alors que d’autres mettent en avant le rôle d’intermédiaire, de “médiateur” entre le public et l’artiste. Je pense pour ma part que le commissaire est le premier spectateur et interlocuteur d’un artiste. La question du travail collectif permettait pour le Bureau/, en même temps d’affirmer un travail de scénographie et d’accrochage fort, mais sans mettre en avant la figure, le nom ou le CV du commissaire. Il y a d’ailleurs plusieurs collectifs qui se sont créés en France et à l’étranger depuis quelques années (voir le dossier “Curatoring” dans 02), ce qui est à mon avis symptomatique, et du statut social du commissaire (il est très difficile, du moins pendant plusieurs années, d’en vivre) et de la position de retrait individuel et de réflexion collective des jeunes commissaires.

L’exposition “Un plan simple 3/3 (écran)” est visible à la Maison Populaire de Montreuil jusqu’au 12 décembre 2009.
Le “Théâtre de poche” d’Aurélien Froment (2007) a été présenté du 28 août au 11 octobre 2009, à la Bonniers Konsthall de Stockholm (Suède).

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