Sorti en France le 4 mai 2022, Doctor Strange in the Multiverse of Madness est le deuxième opus consacré au Sorcier Suprême. C’est le 28e film de l’univers cinématographique Marvel (ou MCU), dont l’action se déroule après WandaVision, mini-série diffusée début 2020 sur Disney+, et Spider-Man: No Way Home, sorti au cinéma fin 2021. Tous les événements décrits s’inscrivent dans la continuité de la bataille qui a vu les Avengers vaincre Thanos, à la fin d’Avengers: Endgame (2019) et s’appuient sur l’existence du multivers, un réseau d’univers parallèles au nôtre, dans lesquels existent des versions alternatives des personnages.
Spoiler Alert! Cet article divulgâche l’intrigue principale du film (ainsi que des éléments clés d’autres films du MCU et de la série WandaVision).
Wanda Maximoff, présentée comme Scarlet Witch (la Sorcière Rouge dans la VF des comics) pour la deuxième fois seulement depuis le final de la série, est la “méchante” du film. Ayant pris possession du Darkhold, un Livre des Ombres à la sauce Marvel, elle est en mesure d’agir à travers le multivers, et se met en tête de voler les enfants d’une autre version d’elle-même. L’intrigue principale du film voit donc Stephen Strange s’opposer à celle qui fut une co-équipière au sein des Avengers dans une lutte sans merci aux accents horrifiques (zombies et séquences gore comprises), propres au cinéma du réalisateur Sam Raimi, et inhabituels dans le répertoire cinématographique de Marvel.
Femme au bord de la crise de nerfs
Mais revenons en arrière. Wanda Maximoff apparaît pour la première fois dans une scène post-crédits de Captain America: The Winter Soldier (2014). Avec son frère jumeaux Quicksilver (Vif-Argent dans la VF des comics), elle devient l’alliée d’Ultron, une intelligence artificielle opposée à Tony Stark/Iron Man et à l’équipe des Vengeurs dans Avengers: Age of Ultron (2015). Après avoir compris les funestes projets de l’android, elle le trahit pour rejoindre les Avengers. Dans les cinq films suivants, elle est un personnage puissant mais souvant secondaire, prenant ses marques au sein de l’équipe. Elle construit une relation amoureuse avec Vision, un être synthétique conçu par Stark et Bruce Banner/Hulk, jusqu’à la mort de celui-ci aux mains du Thanos, dans Endgame.
Dans WandaVision, la superhéroïne prend en otage une ville entière, dans une mise en scène bourrée d’allusion aux sitcom états-uniennes des années 1950 à 2000. Inconsolable après la mort de son compagnon, et pas vraiment consciente de ses actes, Wanda Maximoff met en place the Hex, un puissant sortilège qui fait entrer les habitant⋅es de Westview dans une fiction idéale – ou presque… Dans l’épisode final, Wanda Maximoff lève le sort, libère la ville, renonçant au passage à Vision et à ses fils Billy et Tommy, qu’elle avait (re)créés de toute pièce par la seule force de sa magie. Alors qu’elle semble avoir trouvé la paix, la scène post-crédit la montre plongée dans le Darkhold. Tandis que ses enfants (mais de quel univers ?) l’appellent au secours, le thème musical de Doctor Strange retentit, annonçant la présence de Wanda Maximoff dans le prochain film.
Insolite dans sa forme car les quatre premiers épisodes sont très déroutants, WandaVision a offert au personnage un arc narratif dense, riche en émotions, laissant à l’intrigue le temps nécessaire pour se déployer. La série a également permis à l’actrice Elizabeth Olsen de montrer son talent tout en nuance, à travers les errances du personnage. Contrairement aux films, WandaVision aborde avec subtilité la santé mentale, le deuil et la résilience. Mais l’ensemble était déjà marqué par une vision très hétéronormée de la famille, forcément nucléaire, petite bourgeoise et banlieusarde. La satire que constitue les clins d’œil aux diverses séries TV avec lesquelles Wanda Maximoff a grandi, de I love Lucy à Malcom, en passant par Full House (La Fête à la maison) et Bewitched (Ma Sorcière bien-aimée), ne suffit à pas remettre en question la norme : une famille états-unienne respectable, c’est un papa, une maman (réfugiée parfaitement intégrée à l’Amérique au point d’avoir perdu son accent comme son frère lui fait remarquer), et deux garçons. Qu’importe qu’il soit un android, qu’elle soit une sorcière, et les enfants, des créations magiques.
Dans Doctor Strange in the Multiverse of Madness, Scarlet Witch apparaît rapidement comme ayant succombé aux forces du Mal. Obsédée par la quête de ses enfants, elle n’est plus à un meurtre près : “Defender Strange” au début du film, des élèves de Kamar-Taj pendant une bataille pour prendre le sanctuaire, l’intégralité de l’équipe des Illuminati dont les morts sont particulièrement explicites et gore. Son seul but : tuer America Chavez pour récupérer son pouvoir, qui permet à l’adolescente de passer d’un univers à l’autre.
Bien que le film ait été écrit, réalisé et produit par trois hommes, il passe aisément le test de Bechdel. Celui-ci veut qu’au moins deux personnages féminins soient clairement identifiables et nommés ; que ces deux femmes discutent au moins une fois dans le film, et qu’elles parlent d’autre chose que d’un homme. Ici, on voit plusieurs interactions entre les trois principaux personnages féminins que sont Scarlet Witch, America Chavez et Christine Palmer qui, bien qu’elles soient unies par leur relation avec Stephen Strange, disposent d’arcs narratifs clairement distincts, avec des motivations qui leur sont propres. De plus, la bataille des Illuminati donnent l’occasion des interactions entre Wanda Maximoff, Captain Carter et Captain Marvel.
Mais là où la série apportait de l’épaisseur et de la sensibilité, dans le film, le personnage est unidimensionnel, peu nuancé et obsessionnel. Le seul argument qui parvient à faire renoncer Scarlet Witch : confrontée aux enfants de l’autre version d’elle-même qu’elle convoitait, elle les effraie, ils la repoussent. Elle répète alors une phrase prononcée plus tôt lorsqu’elle voulait convaincre Strange du bien fondé de sa quête : I am a mother, not a monster (“Je suis une mère, pas un monstre”) mais ne peut finir, prenant conscience du mal qu’elle a fait autour d’elle. Le film se clôt sur son suicide et la destruction du Darkhold, dans tous les univers.
Le trope de trop
Sur l’ensemble de son évolution (et sous réserve d’une réapparition ultérieure dans la saga, puisque le multivers permet d’imaginer à peu près tout), la version MCU de Wanda Maximoff/Scarlet Witch puise à la fois dans le personnage tel qu’il est représenté dans les comics, et dans l’arc narratif de Jean Grey/Phoenix dans la période Dark Phoenix. D’abord une adolescente inconsciente de l’étendu de ses pouvoirs, elle se révèle une force surnaturelle, capable de manipuler la réalité autant que de l’anéantir. Par deux fois, dans la série et dans le film, elle devient une furie, emprisonnant et assassinant sans répit celles et ceux qui lui barrent la route.
Alors une question demeure : pourquoi tout est toujours pardonné aux superhéros masculins, et pas à leurs alter-ego féminins ? Stark/Iron Man (dans tous les Iron Man), Peter Quill/Star-Lord (dans tous les Gardians of the Galaxy), Stephen Strange (Doctor Strange), et même Captain America dans Captain America: Civil War, tous enfreignent les lois (morales et/ou juridiques) et sont pardonnés, voire célébrés. Au contraire, les femmes prennent les rôles de mères sacrificielles pour l’équipe (Gamora dans Infinity War, Black Widow dans Endgame), de guérisseuses (Black Panther sauvé par sa mère, sa sœur et sa compagne) ou de médiatrices (Pepper Potts pour Tony Stark, Mantis pour les Gardiens de la Galaxie). Tout est résumé dans cette réplique, prononcée par Scarlett Witch et mise en exergue dès la bande-annonce :
“You break the rules, and become a hero. I do it, and I become the enemy. It doesn’t seem fair.”
Qu’on peut traduire par : “Tu enfreins les règles, et tu deviens un héro. Je fais de même, et je deviens l’ennemie. Ce n’est pas juste.”
Et c’est à mon sens tout le problème du film : il n’offre aucune rédemption à Scarlet Witch. Ou plutôt, il annule la closure que WandaVision lui avait offert. Wanda Maximoff y est à nouveau représentée sous les traits archétypaux de la sorcière, réduite à une folie destructrice en raison de sa souffrance. La répétition de ce motif caricatural, qui flirte avec la misogynie, ne manque pas d’ironie quand on voit que les studios Disney/Marvel travaillent à une meilleur visibilité des femmes et, plus largement, de toutes les minorités dans les films récents… Nous y reviendrons.