Matt Pyke & Friends, “Super Computer Romantics” à la Gaîté Lyrique

Matt Pyke & Friends © Universal Everything
Matt Pyke & Friends © Universal Everything

Du 21 avril au 27 mai, la Gaîté Lyrique présente Matt Pyke & Friends, “Super-Computer-Romantics”. L’exposition, dont la commissaire associée est Charlotte Léouzon, une collaboratrice de Matt Pyke, présente 12 pièces du designer britannique et a donné lieu à une conférence/rencontre avec les artistes le mercredi 11 mai dernier.

À 36 ans, Matt Pyke a travaillé pour de nombreuses marques internationales : AOL, Apple, Nokia, Audi ou encore Chanel. De son propre aveux, son style évolue entre deux écritures visuelles : des travaux très pop, grouillants de références et graphiquement chargés d’un côté et de l’autre, des productions plus minimales dans des atmosphères épurées. Très inspirée de la nature et du vivant, ce qui peut sembler paradoxal pour un motion designer utilisant des outils numériques, il déclare : “I am more interested in reading books and magazines about science and biology than design” (Je m’intéresse davantage aux livres et magazines de science et de biologie qu’à ceux qui traitent de design, à propos de 76 seeds). Sa démarche se caractérise par un travail toujours participatif, en collaboration avec de nombreux intervenants : designers, ingénieurs, programmeurs, artistes, tels que Marcus Wendt et Vera-Maria Glahn du studio Field, Karsten Schmidt de PostSpectacular ou encore son frère Simon Pyke pour la musique.

Algorythmes pop

Parmi les douze œuvres présentées, trois ont retenu mon attention : Transfiguration, Supreme Believers et surtout Communion. Le teaser ci-dessous montre un aperçu de Transfiguration, ainsi qu’un extrait de Can’t stop que j’évoquerai plus loin.


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Présentée au sous-sol de la Gaîté Lyrique, Transfiguration est une projection sur grand écran accompagnée d’une bande sonore et encadrée par des néons de couleurs. Une forme humanoïde marche, comme indéfiniment, tandis que sa texture se transforme périodiquement : métallique, minéral, poilu, liquide… “Sculpture vivante ou peinture évolutive” selon Charlotte Léouzon, Transfiguration est une pièce surprenante : l’association entre la musique et l’image donne une sensation presque physique du personnage et de ses changements. Lorsqu’il est de pierre, le son est lourd, lorsqu’il devient bulle, un son aérien se fait entendre. Et s’il est de métal, des cliquetis résonnent. Interrogé pendant la conférence sur la temporalité dans son travail, Matt Pyke précise : “There is a momentum in the gallery, a loop, you know that the guy from Transfiguration will continue walking even when I’ll be back in Sheffield (Il y a comme un refrain, une boucle dans l’exposition, qui fait que le gars de Transfiguration continuera de marcher même lorsque je serai rentré à Sheffield).”

En ce qui concerne l’origine de l’œuvre, il cite le travail du sculpteur taïwanais Ju Ming et plus précisément une pièce qui évoque un homme pratiquant le Tai Chi. L’idée de départ est de concevoir une forme abstraite puis, en la faisant marcher, le spectateur commence à ressentir de l’empathie pour cette forme. Pyke cite aussi l’exemple d’une chaise sur laquelle il place des yeux autocollants, donnant vie au meuble par anthropomorphie. À propos de la signification de Transfiguration, l’artiste évoque le cycle de la vie, l’évolution des technologies primitives vers des matériaux plus modernes, ce qui est complété par Charlotte Léouzon pendant la conférence.


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Visible à la fois depuis la mezzanine et le sous-sol, Supreme Believers (réalisée avec Chris Perry et Simon Pyke) est une projection monumentale qui représente des danseurs semblant lutter pour leur survie. Tentant inlassablement d’atteindre l’extrémité gauche de l’écran sans jamais y parvenir, ils sont atomisés avant d’y arriver : leurs corps deviennent des bulles, des cubes ou encore des feuilles emportés par le vent. Plastiquement, on pense aux terribles pouvoirs de Jean Grey/Phoenix dans X-Men 3 ou à une ancienne publicité de Bouygues Telecom pour son iMode au début d’internet sur les portables. Sortes de Sisyphes numériques, ces danseurs semblent évoquer une lutte impossible de l’être humain pour s’élever vers un niveau de spiritualité ou vers une conscience supérieure. Le travail de Matt Pyke n’est pas sans évoquer ces questions, comme le montre la pièce qui m’a le plus marqué, Communion.

Du spirituel dans l’art et dans le numérique en particulier

Sorte de cérémonie religieuse chez d’hypothétiques Papous numériques, Communion est une expérience immersive qui allie son, lumière et motion design, et évoque tout à la fois le dancefloor d’une boîte branchée et un sacrement dans une chapelle digitale. Sur les quatre parois quadrillées de la petite salle plongée dans l’obscurité, d’innombrables personnages s’agitent au son d’une entêtante mélopée frénétique, fuyant d’un mur à l’autre, puis remplissant la totalité des parois, disparaissant à nouveau, passant de tons orangés chauds et roses fluos à des bleus et verts froids. Comme dans beaucoup d’autres pièces de Matt Pyke et de ses complices, les personnages de Communions sont générés par un algorythme basé sur la musique, faisant de l’œuvre une expérience unique qui se réinvente en permanence.

Communion, Matt Pyke & Friends © DR
Communion, Matt Pyke & Friends © DR

Simon Pyke précise : “it’s tribal music with a big vocal sound, like a collective & religious experience (C’est une musique tribale avec une importante partition vocale, comme une expérience religieuse collective)”. Pour ma part, j’ai pensé aux passages de rituels dans Sa majesté des mouches de William Golding remixés par Yuksek, quelque chose d’à la fois érotique et effrayant, sensuel et fascinant. C’est une véritable expérience à vivre et rien de ce que vous pourrez lire ici ou ailleurs ne rendra la réalité d’y être confronté.

Science feat. Nature

Parmi les autres pièces, on peut citer Can’t Stop, un autoportrait psychédélique de l’artiste en penseur (devant la grand salle, premier étage) qui n’est pas sans évoquer Magritte par sa force surréaliste. L’exposition montre également deux œuvres très graphiques : Electric Trees, dans une alcôve du sous-sol et 76 seeds. Dans Electric Trees un tube néon de lumière noire, relié à un capteur de présence, ne s’active que lorsqu’un visiteur pénètre l’alcôve et révèle les feuilles des arbres dessinées selon un algorythme récursif.

Electric Trees, Matt Pyke & Friends © Maxime Dufour
Electric Trees, Matt Pyke & Friends © Maxime Dufour

Enfin, avec 76 seeds, une série de croquis dessinés quotidiennement, le designer inverse les rôles et devient la machine. Pendant 76 jours, il a dessiné en suivant les instructions d’une application iPhone développée exprès, selon quatre critères : l’énergie, le comportement, la complexité et la matière. Le résultat donne un assemblage hétérogène de croquis aux traits divers, mouvants, surprenants qui n’est pas sans évoquer un cabinet de curiosité graphique à l’ère du numérique.

Designer ou artiste ?

Conférence autour de l'exposition "Matt Pyke & Friends" © Sébastien Magro
Conférence autour de l'exposition "Matt Pyke & Friends" © Sébastien Magro

Pendant la conférence, l’épineuse question de la relation entre design et art se pose. Pour Charlotte Léouzon, nous vivons une époque de décloisonnement entre les disciplines, les artistes sont aujourd’hui tout autant directeurs artistiques que plasticiens et passent souvent de productions de commandes à des œuvres “à vocation artistique”. Venant appuyer son propos, Marcus Wendt précise que Londres lui semble plus ouverte à ce décloisonnement, là où l’Allemagne pratique une séparation plus radicale entre art et design, raison du déménagement de Field pour la capitale britannique. Pour conclure, Matt Pyke se définit comme designer avant tout : les marques et les projets publicitaires qu’il conçoit pour elles lui permettent de développer son travail artistique. Mais ces deux démarches ne sont pas opposées ou parallèles mais entrelacées, puisqu’à plusieurs reprises, des éléments fonctionnels ou formels présents dans ses œuvres ré-apparaissent dans ses annonces publicitaires et réciproquement.

La conférence a été également l’occasion de découvrir d’autres travaux de Matt Pyke et de ses compagnons, telle que leur première pièce présentée au public, Forever, montrée en 2009 au Victoria & Albert Museum de Londres et réalisée en collaboration avec Karsten Schmidt et Simon Pyke. Un autre très beau projet de Matt Pyke est Advanced Beauty, une série de 18 sculptures sonores produites en collaboration avec son frère Simon et des artistes américains et britanniques pour la plupart, que vous pouvez retrouver en podcast sur iTunes et en rétrospective à la Gaîté le dimanche 22 mai de 14h à 18h. Ci-dessous, quelques images du projet et son making-off.


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Pour approfondir

À propos de l’exposition, je vous suggère la lecture des articles de Libération et Les Échos qui consacrent un petit sujet vidéo à l’expo. Côté blogs, voyez Eye Magazine (En) et lisez l’article de Noëmie Roussel sur ZestForArt. Enfin, Carpe Webem propose une réflexion sur la nature de l’art numérique à travers le travail de Matt Pyke.

Je vous incite à visiter le site de Matt Pyke car, au-delà d’y voir des photos de l’exposition, vous pourrez y apercevoir quelques instantanés du chantier de la Gaîté. La préparation de l’exposition ayant débutée il y a plus de 2 ans, le designer et son équipe ont appréhendé les espaces d’exposition du lieu, allant même jusqu’à concevoir un modèle 3D qui a été utile au personnel de la Gaîté.

Vous pouvez en savoir plus sur le travail de Charlotte Léouzon sur son blog ou sur le site de son agence, Va Voom.

J’ai visité l’exposition une première fois le 4 mai dans le cadre des Rencontres culture numérique, puis en visite guidée avec l’artiste le 11 mai. J’ai assisté à la conférence le même jour, à 19h.
MÀJ du 18/05/11 : ajout du lien vers le blog ZestForArt.

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